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BioGraphie

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Anatolij  SMILINGIS


Anatolij Smilingis naît le 4 octobre 1927 à Plunge, en Lituanie. Sa mère est enseignante et son père, directeur d’école, dirige également un parti local nationaliste. La famille est déportée le 14 juin 1941. Le père est alors séparé du reste de la famille. Pour toujours.

À 14 ans, Anatolij se retrouve avec sa mère et sa petite soeur Rita. Après un long voyage en train puis en barges, ils rejoignent la République Komi. Au village spécial «Vtoroj ucastok», sa mère trouve du travail au chaud, dans les bains, tandis qu’Anatolij s’exerce en forêt comme marqueur. Au départ, ils ont encore des provisions, mais très vite, à l’hiver 1942, la situation se détériore et la famine s’installe. Suite à l’arrestation de sa mère, envoyée en camp pour avoir chapardé quelques graines d’avoine, Anatolij commence à gonfler à cause de la faim et échappe de peu à la mort.

À peine remis, il reprend son travail en forêt. Après la guerre, il s’engage dans l’exploitation forestière de Negakeros. Son amour pour la forêt est tel qu’il commence dès le début des années 1950 à organiser des excursions pour les enfants.

En 1955, Anatolij reçoit de Lituanie une attestation lui annonçant sa libération. Il n’a pourtant jamais quitté la terre de relégation. Les randonnées avec les enfants lui ont apporté renommée sportive et reconnaissance sociale. Anatolij œuvre aujourd’hui pour le travail de mémoire et le tourisme mémoriel dont il est très certainement le pionnier dans cette région.

L'entretien avec Anatolij Smilingis a été conduit en 2012 par Hélène Mondon.

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L'excitation du départ

Anatolij a 14 ans lorsqu’il apprend qu’il va être déporté avec sa famille quelque part en Sibérie. Les souvenirs qu’il garde de cet épisode sont plutôt amusants et c’est avec le sourire qu’il nous les livre dans ces deux extraits. L’enfant qu’il était ne perçoit pas ce départ comme celui d’une déportation tragique, bien au contraire, ce grand voyage l’excite et pique sa curiosité.

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L'excitation du départ - Préparatifs

Alors que deux soldats font irruption chez eux pour leur annoncer qu’ils doivent se préparer, Anatolij, tout passionné qu’il était de chimie, s’empresse de remplir ses poches de préparations chimiques diverses et variées. Il se remémore en riant la réaction qui s’est produite entre la glycérine et le permanganate de potassium, mettant le feu à son pantalon, sous l’oeil effaré de l’officier venu perquisitionner!

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Le folklore de la déportation

Au cours du voyage, les mères de famille entonnent des chansons tirées du folklore lituanien. Elles composent également des lamentations pour épancher leurs souffrances et leur désir de retour. Anatolij, timidement, nous interprète ici un couplet qui lui revient en mémoire.

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Face à la mort - La mort des "Perses"

Au village « vtoroj ucastok » le brassage des populations est tel que vivent en bonne harmonie Lituaniens, Polonais, Chinois, Iraniens, Allemands. Les Iraniens que les Lituaniennes appelaient romantiquement les « Perses » venaient de la haute société et se distinguaient par leur élégance et leur liberté d’opinion. Ils n’ont pourtant pas pu, ou pas voulu, s’adapter aux rudes conditions de l’exil. Anatolij nous livre ici le récit tragique de leur mort, ajoutant que par la suite, cet épisode a longtemps hanté ses nuits:

Un matin de décembre, on envoie quatre « Perses du Caucase » amaigris et vêtus de haillons, abattre la forêt. On leur donne des instruments. Anatolij a pour mission de les conduire jusqu’au chantier et de revenir plus tard comptabiliser le bois abattu. Ils parcourent environ un kilomètre dans un froid glacial, les Perses ont du mal à suivre la cadence. Une fois sur place, Anatolij leur explique ce qu’ils doivent faire dans un mélange de russo-chinois-lituanien. Les Perses n’ont qu’une obsession: se réchauffer, alors Anotolij fait du feu et leur laisse quelques bûches en provision. Il les abandonne ainsi à leur tâche pour poursuivre sa tournée des chantiers. A la tombée de la nuit, Anatolij revient les chercher, mais ne voyant plus de fumée, il commence à s’inquiéter. Il se dit qu’ils sont peut-être partis. Une fois de retour sur les lieux, il les retrouve assis, figés par le gel. Il étaient tous morts de froid.

En relégation, la mort est quotidienne et il faut apprendre à s’en accommoder quelle que soit la saison. A plusieurs reprises, Anatolij est amené à transporter des corps en plein hiver pour procéder à l’éprouvant rituel de l’enterrement. Il raconte une de ces « opérations »: les corps des défunts étaient transportés à cheval jusqu’au cimetière de Postkeros. Les convois avaient lieu une à deux fois par jour. Une fois sur place, il fallait tout d’abord dégager la neige, puis creuser à la hache, ce qui était très dur dans les conditions du permafrost. Il creusait, puis recouvrait le corps de neige. Les complications arrivaient avec le printemps, lors de la fonte des neiges. Les chiens errants et affamés venaient se servir là, avant que les Chinois n’arrivent à leur tour pour chasser ces chiens dont ils se nourrissaient. Alors on appelait les kolkhoziens à la rescousse pour qu’ils viennent enterrer une seconde fois les corps entamés par les chiens.

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Face à la mort - Le rituel des enterrements

Au village « vtoroj ucastok » le brassage des populations est tel que vivent en bonne harmonie Lituaniens, Polonais, Chinois, Iraniens, Allemands. Les Iraniens que les Lituaniennes appelaient romantiquement les « Perses » venaient de la haute société et se distinguaient par leur élégance et leur liberté d’opinion. Ils n’ont pourtant pas pu, ou pas voulu, s’adapter aux rudes conditions de l’exil. Anatolij nous livre ici le récit tragique de leur mort, ajoutant que par la suite, cet épisode a longtemps hanté ses nuits:

Un matin de décembre, on envoie quatre « Perses du Caucase » amaigris et vêtus de haillons, abattre la forêt. On leur donne des instruments. Anatolij a pour mission de les conduire jusqu’au chantier et de revenir plus tard comptabiliser le bois abattu. Ils parcourent environ un kilomètre dans un froid glacial, les Perses ont du mal à suivre la cadence. Une fois sur place, Anatolij leur explique ce qu’ils doivent faire dans un mélange de russo-chinois-lituanien. Les Perses n’ont qu’une obsession: se réchauffer, alors Anotolij fait du feu et leur laisse quelques bûches en provision. Il les abandonne ainsi à leur tâche pour poursuivre sa tournée des chantiers. A la tombée de la nuit, Anatolij revient les chercher, mais ne voyant plus de fumée, il commence à s’inquiéter. Il se dit qu’ils sont peut-être partis. Une fois de retour sur les lieux, il les retrouve assis, figés par le gel. Il étaient tous morts de froid.

En relégation, la mort est quotidienne et il faut apprendre à s’en accommoder quelle que soit la saison. A plusieurs reprises, Anatolij est amené à transporter des corps en plein hiver pour procéder à l’éprouvant rituel de l’enterrement. Il raconte une de ces « opérations »: les corps des défunts étaient transportés à cheval jusqu’au cimetière de Postkeros. Les convois avaient lieu une à deux fois par jour. Une fois sur place, il fallait tout d’abord dégager la neige, puis creuser à la hache, ce qui était très dur dans les conditions du permafrost. Il creusait, puis recouvrait le corps de neige. Les complications arrivaient avec le printemps, lors de la fonte des neiges. Les chiens errants et affamés venaient se servir là, avant que les Chinois n’arrivent à leur tour pour chasser ces chiens dont ils se nourrissaient. Alors on appelait les kolkhoziens à la rescousse pour qu’ils viennent enterrer une seconde fois les corps entamés par les chiens.

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Les ravages de la faim - L'arrestation de sa mère

Dans les mois qui suivent la déportation, la famille d’Anatolij subsiste grâce aux provisions emportées de Lituanie. Mais à l’hiver 1942, la situation se dégrade et tous les moyens sont bons pour assurer la survie de la famille:

« Ma petite soeur Rita a été prise en charge à l’internat de l’école, où les enfants en bas âge étaient nourris et logés. Nous aussi, il fallait bien qu’on mange, alors maman s’est mise à aller à l’écurie de plus en plus souvent. De temps en temps, on donnait aux chevaux quelques graines d’avoine. Elle a commencé à en rapporter, je me demandais d’où, puis elle les réduisait en farine et les faisait cuire. Ca lui a coûté cher… Quelqu’un l’a vue et pour une poignée d’avoine, elle a été arrêtée. Je ne l’ai plus jamais revue. Ils l’ont emmenée et elle est morte quelque part dans un camp. Je me suis retrouvé tout seul ».

Anatolij entame alors sa vie d’orphelin et passe par la terrible expérience de la famine qu’il dit avoir réellement vécu pendant près de six mois. Il essaie dans cette séquence d’expliquer ce que pouvait ressentir un enfant au dernier stade de la faim: 

« On n’avait plus rien à manger. Je me souviens bien de certaines étapes. Je ne sais plus trop comment, j’avais sans doute troqué quelque chose contre une miche de pain noir, une miche tout entière! Je l’ai mangée et c’était comme si de rien n’était. Je l’avais mangée et pourtant j’en avais pas l’impression. Je l’avais découpée en tout petits morceaux sur la cuisinière et d’un coup, y’en a plus. Et là, tu peux pleurer toutes larmes de ton corps, c’est fini, y’a plus rien. Je m’en souviens encore. Et j’ai commencé à gonfler, ça commence par les jambes. C’était bien connu : quelqu’un qui commence à gonfler n’en a plus pour longtemps, après c’est le ventre qui gonfle. Et vous savez, on devient complètement indifférent de tout, on se transforme en zombi. Mais j’avais faim quand même, sauf que j’avais les jambes lourdes comme du plomb et je pouvais à peine les lever. Je m’en souviens encore. »

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Les ravages de la faim - La famine

Dans les mois qui suivent la déportation, la famille d’Anatolij subsiste grâce aux provisions emportées de Lituanie. Mais à l’hiver 1942, la situation se dégrade et tous les moyens sont bons pour assurer la survie de la famille:

« Ma petite soeur Rita a été prise en charge à l’internat de l’école, où les enfants en bas âge étaient nourris et logés. Nous aussi, il fallait bien qu’on mange, alors maman s’est mise à aller à l’écurie de plus en plus souvent. De temps en temps, on donnait aux chevaux quelques graines d’avoine. Elle a commencé à en rapporter, je me demandais d’où, puis elle les réduisait en farine et les faisait cuire. Ca lui a coûté cher… Quelqu’un l’a vue et pour une poignée d’avoine, elle a été arrêtée. Je ne l’ai plus jamais revue. Ils l’ont emmenée et elle est morte quelque part dans un camp. Je me suis retrouvé tout seul ».

Anatolij entame alors sa vie d’orphelin et passe par la terrible expérience de la famine qu’il dit avoir réellement vécu pendant près de six mois. Il essaie dans cette séquence d’expliquer ce que pouvait ressentir un enfant au dernier stade de la faim: 

« On n’avait plus rien à manger. Je me souviens bien de certaines étapes. Je ne sais plus trop comment, j’avais sans doute troqué quelque chose contre une miche de pain noir, une miche tout entière! Je l’ai mangée et c’était comme si de rien n’était. Je l’avais mangée et pourtant j’en avais pas l’impression. Je l’avais découpée en tout petits morceaux sur la cuisinière et d’un coup, y’en a plus. Et là, tu peux pleurer toutes larmes de ton corps, c’est fini, y’a plus rien. Je m’en souviens encore. Et j’ai commencé à gonfler, ça commence par les jambes. C’était bien connu : quelqu’un qui commence à gonfler n’en a plus pour longtemps, après c’est le ventre qui gonfle. Et vous savez, on devient complètement indifférent de tout, on se transforme en zombi. Mais j’avais faim quand même, sauf que j’avais les jambes lourdes comme du plomb et je pouvais à peine les lever. Je m’en souviens encore. »