Solidarité Ukraine
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"J’ai arrêté de croire en dieu, aux divers miracles et autres contes bourgeois."

Česlovas Š... est déporté en 1952, peu après ses propres parents. Il s’en indigne, à peine arrivé sur son lieu d’exil, dans une longue lettre dans laquelle il écrit sa vie encore plus explicitement dans les canons conformes aux valeurs soviétiques : une vie pauvre et exploitée par les autres. Son père, qui écrit d’autres requêtes, toujours indépendantes de celles de son fils, se décrit, comme un travailleur agricole ou ouvrier, tout au cours de sa vie, dont les parents ont émigré au Brésil, où ils sont décédés dans une mine. Ses frères, sauf l’un d’entre eux qui purgeait une peine de 15 ans de prison pour avoir monté un drapeau rouge lors d’une manifestation, avaient accompagné ses parents. En annexe d’une de ses requêtes, son père joint un texte qui est presque entièrement consacrée à ces « koulaks » non déportés qu’il dénonce nommément comme responsables de tous ses mots. C’est donc la vie de chacun qui justifie la demande, une vie qui entre entièrement dans les canons soviétiques de ceux qui doivent être défendu.
Cependant, la forme du récit est très différente de celle de l’histoire écrite par Francz Gr... Moins structuré, se rapprochant moins d’une forme bureaucratique, sa biographie est déroulée sous forme d’un conte traditionnel, racontant l’histoire d’un pauvre ère, coincé dans une famille pauvre, rétrograde et soumise (non au seigneur comme ce serait le cas dans un conte, mais à la domination de l’ancien monde), sauvé par quelque personnage (ici en l’occurrence l’autorité soviétique) qui d’un coup de baguette magique lui révèle la vérité qui lui fait renier sa foi pour en trouver une nouvelle qui le transforme en personnage libre, actif, disponible pour les autres. Le conte populaire n’est pas loin ici, dans la structure narrative mais aussi la mise en scène de l’histoire, les retournements inattendus, l’opposition du monde du mal et du bien. Le style même change, le « parler bolchévique » n’apparaissant que lorsque la personne elle-même s’est transformée, un nouvel homme dans un nouveau monde. Le récit est long, où alternent les preuves de « loyauté social », de « loyauté politique », d’autonomie permettant l’existence d’un homme réellement nouveau (« Qu’ils reçoivent ceux qu’ils gagnent, et que je reçoive ce que je gagne. Pourquoi porter le malheur des autres. »). Il ne fait aucun doute qu’il l’a écrite lui-même, les requêtes qui suivent sont d’une même écriture, en russe ou lituanien, toujours très appliquée et scolaire, suivant de façon très précise les lignes des feuilles de papier sur lesquelles ces lettres sont écrites.

Alain Blum et Emilia Koustova

Au Conseil des ministres d’URSS
Š... Česlovas Vaclovovič
    résidant à Tomsk, av. Kirov, 18
    стройотделение АХО УМГБ
Requête

Je demande au Conseil des ministres d’URSS d’exercer son influence sur les organes compétents pour que l’on me retire de l’enregistrement à la commandature spéciale du Ministère de la sécurité publique (MGB) de la ville de Tomsk et que l’on m’autorise à rentrer à Kaunas terminer mes études.
On m’a déporté le 24 janvier 1952 de la ville de Kaunas en Lituanie, rue Vitenu, 32, vers la ville de Tomsk, av. Kirov, 28, стройотделение АХО УМГБ.
    Je suis né le 10 février 1929 dans le village de Taskunaï, district de Kedaïniaisk, RSS de Lituanie. Mon père avait environ 9 ha de terre. J’y ai terminé deux classes de l’école élémentaire. En 1932 (je ne me souviens pas de la date précise), mon père s’est fait arraché la main droite et nous avons accumulé les dette, cela a été le début d’une crise et mon père a dû vendre sa terre. Nous sommes partis vivres dans le village de Babenaï. J’y ai terminé ma troisième année de l’école élémentaire, et j’ai fait la 4ème et 5ème année dans la ville de Kedaïniaï.
Nous retrouvant sans moyens de vivre, mon père et ma mère ont travaillé comme gardien dans la ville de Kedaïnïai à la station de chemin de fer sur la ligne Kedaïniaï-Panevejis sur les ponts, etc. Mon père et ma mère n’ont aucune instruction, et ils ont donc travaillé comme simples travailleurs. En 1939, mon père et ma mère sont allé dans le district de Vevissk, région de Vilnius, où ils ont travaillé sur la ligne Kaunas-Vilnius.
C’est là que commence ma vie indépendante. A partir de ce moment j’ai vécu séparé de ma famille à qui je rends visite très rarement.
Mon père et ma mère ne voulaient pas me laisser étudier plus longtemps, et du coup je les ai laissé et suis allé vivre  dans le district de Dotnuv, village de Kazok chez mon oncle.  J’ai étudié chez eux et travaillé. Ici, dans la ville de Surviliškes j’ai terminé ma 6ème année de l’école élémentaire et je suis rentré chez les pionniers. C’est ici que j’ai arrêté de croire en dieu, aux divers miracles et autres contes bourgeois. Depuis ce moment là j’ai suivi le droit chemin du matérialisme. C’est ici que, pour la 1ère fois, j’ai commencé a étudié sans curés ni prêtres, j’ai distingué la vérité du mensonge. C’est ici que de tout mon petit corps j’ai ressenti toute ma haine contre les propriétaires terriens.
La Grande Guerre patriotique. Je suis allé vivre dans le village de Gelaïniaï, district de Dotuvos. Il fallait gagné soi-même son pain. Je suis revenu au village de Babenaï, puis j’ai décidé d’aller chez mon père sur la ligne Kaunas-Vilnius. Il n’était pas possible d’étudier. J’ai vécu dans les districts de Velissk et Kaïšedarsk près de la route puis dans la ville de Vevlis. J’ai travaillé au chantier de la route, … puis à la coopérative de Velisk comme chauffeur. En un mot j’ai vécu et travaillé là où il y avait du travail, où on pouvait gagner son pain.
L’armée rouge a chassé les envahisseurs fascisto-allemands de la Lituanie soviétique. Je suis allé travailler à la coopérative de Vevissk comme , puis comptable, puis on m’a offert à l’usine de lait les conditions pour étudier. Je suis rentré à l’école secondaire en 1945 que j’ai fini en 1945. Cette même année je suis allé étudié à Vilnius dans le collége pour garçon n°1, d’où je suis sorti en 1949. Là le parti et le gouvernement soviétique ont créé toutes les conditions pour étudier.Je vivait dans l’orphelinat  rue Iasinsk, je recevait gratuitement ma nourriture une chambre etc. En un mot on a créé les meilleurs conditions pour que j’étudie. En 1949 je suis rentré dans les rangs du VLKSM [komsomols]
Après avoir terminé le collège, je suis allé étudié à l’Académie vétérinaire dans la ville de Kaunas. J’y ai étudié 2 ans et demi. J’ai toujours été excellent, j’ai participé activement à la vie sociale. J’ai été choisi chef de groupe, puis membre du bureau de l’organisation locale des komsomols de la faculté vétérinaire. J’y ai dirigé le secteur du travail politique des masses. J’ai activement participé au travail des autres secteurs, j’ai aidé l’organisation du parti à lutter pour des études réussies, pour la morale soviétique, pour accélérer l’extraction de la conscience des étudiants les survivances bourgeoises, pour un futur heureux, pour la puissance de notre Patrie, pour la paix dans le monde entier. Je voulais apporter mon dû à la science soviétique à l’avant -garde, aider à développer l’élevage, , помочь развить животноводство, rendre au compte au peuple [ ??], offrir mon travail au peuple. Le peuple m’a offert les conditions pour étudier, il  n’a pas lésiné sur les moyens. Pouvais-je rêver à une éducation supérieure sans le pouvoir soviétique. S’il n’y avait pas eu le pouvoir soviétique, je n’aurai jamais étudié plus de cinq classes de l’école élémentaire. Seul le pouvoir soviétique a créé les conditions d’étudier et pour cela je suis prêt à lui donner beaucoup, à travailler pour lui toute ma vie, travailler autant que je le peux de tout mon cœur et mon âme. Je voudrais montrer au peuple soviétique que je ne le trompe pas, que je suis le fils honnête de son peuple et que je lui serai fidèle jusqu’à la fin de ma vie. On peut aussi être utile à son peuple ici, à Tomsk, étudier travailler excellemment, et apporter sa pierre à la puissance de notre Patrie soviétique, mais ici je ne travaille pas selon ma spécialité (bien que je n’ai pas encore de spécialité) et j’ai l’impression que, je serais bien plus utile si je travaillais selon ma spécialité, que je pourrai mieux aider ma Patrie, le peuple soviétique.
Le 2 octobre 1951, on a déporté ma famille, c’est-à-dire mon père et ma mère, de Lituanie, de la région de Vilnius, ville de Vievi, dans la région de Tomsk, district de Tchainsk.
On a déporté ma famille, mais pourquoi m’a-t-on déporté?! Je ne peux répondre d’autres personnes, je ne suis pas coupable d’être né dans une telle famille qu’on a déportée. Ma famille était lointaine pour moi. Qu’ils reçoivent ceux qu’ils gagnent, et que je reçoive ce que je gagne. Pourquoi porter le malheur des autres. Depuis mes 10 ans, j’ai grandi séparément de ma famille et je l’ai vu très rarement.
J’ai développé d’autres traditions, d’autres regards, d’autres rêves et objectifs. Les organisations de pionniers et de komsomols m’ont éduqué, des pédagogues soviétiques sous la direction du PCU(b) [Parti communiste d’Union soviétique]. Mon éducation et mon point de vue sont tout autres, que ceux de mon père, que ceux de ma famille.
J’ai grandi et je me suis formé dans des conditions tout autres qu’eux, mes idées sont différentes, mes points de vue sont différents. Ma vie entière est tournée vers l’aide au parti et au gouvernement soviétique à accélérer le pas du communisme, à aider le monde entier à suivre le droit chemin.
La situation internationale est très compliquée. Notre peuple doit être prêt à défendre à tout moment la Patrie soviétique, le parti et le gouvernement nettoient de dessous ses pieds  les gens qui, dans les minutes décisives peuvent hésiter et par là même tomberont comme des saletés sur la route, qui se répandra et compliquera notre marche vers l’avant. Le parti et le gouvernement soviétique nettoient de dessous ses pieds les personnes, qui créent autour d’elles une atmosphère impatiente vis-à-vis du peuple soviétique.
Il n’y a pas de juste milieu ici, et il ne peut y en avoir. Celui qui n’est pas avec nous est contre nous. Mais je n’ai jamais été dans l’entre-deux. Mais je n’ai jamais été passif dans la lutte pour la nouveauté, pour le progrès, pour la ligne du parti et du gouvernement soviétique. J’ai toujours été dans les rangs de ceux qui luttent pour le bien du parti et le bien du peuple. Et aujourd’hui encore je veux être dans l’avant-garde. Je participerai activement à offrir la ligne du parti aux masses, à parler aux masses, à les convaincre et leur démontrer sur des exemples que la ligne de notre parti est exacte, j’aiderai le parti à éduquer les masses aux idées de Lénine-Staline. Je veux mettre toutes mes forces au service de la science soviétique qui est à l’avant-garde, terminer la faculté vétérinaire, puis résoudre les objectifs que me donnent le PCU(b) et le gouvernement soviétique. Résoudre avec succès les problèmes posés au peuple.
Je demande à nouveau au Conseil des ministres d’URSS de jouer de leur influence sur les organes compétents, pour qu’ils m’autorisent à rentrer à Kaunas pour terminer mes études.
[signature]
29.3.1952