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Les territoires annexés à l'URSS - 1944-1952


Après la victoire de Stalingrad par les Soviétiques, en février 1943, et l’avancée de l’Armée rouge à l’Ouest, des nouvelles déportations sont organisées.
Dans les pays baltes, sont arrêtés et déportés principalement ceux qui ont collaboré avec les nazis, ceux qui sont partis travailler en Allemagne, de manière forcée ou volontaire, et les partisans des formations qui combattent contre l’Armée rouge. Plus tard, les Soviétiques lancent de nouvelles opérations de déportation, au printemps 1948 en Lituanie, puis au début de l’année 1949 dans tous les États baltes, visant les paysans qui s’opposent à la collectivisation des exploitations agricoles et qui fournissent souvent de l’aide aux partisans.
En Pologne, sont déportés les officiers et les soldats de l’Armia Krajowa (AK), l’armée de résistance polonaise contre l’occupant allemand, créée en 1942 par le gouvernement polonais en exil à Londres, et qui est active sur tout le territoire de l’État polonais d’avant 1939. Pendant la brève période d’existence du gouvernement provisoire d’unité nationale de la république de Pologne, formé par les Soviétiques en 1944, la police politique soviétique procède à plusieurs opérations de déportations ayant pour cibles les membres de la résistance nationale contre les nazis. Fin 1945 est créé le ministère de la Sécurité polonaise (MBP) qui se charge de continuer cette répression.
En Ukraine occidentale, désormais soviétique, les activistes et les sympathisants de l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN) sont réprimés ainsi que les officiers et soldats de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA), les collaborateurs et les soldats de la Division Galicia, une armée volontaire des Waffen SS. Des milliers de familles paysannes sont déplacées de force en Sibérie, considérées comme le principal soutien des nationalistes, en particulier lors d'une grande opération menée en 1947.
À partir de 1945, un nombre important d’«Allemands ethniques» (Volksdeutsche) se trouvant sur les territoires libérés par l’Armée rouge, en Yougoslavie, Bulgarie et Tchécoslovaquie, ainsi que sur ceux des pays ayant été alliés de l’Allemagne, Hongrie et Roumanie, sont déportés en URSS.
La Hongrie et la Tchécoslovaquie sont aussi touchées par la répression systématique de nombreuses personnes pouvant constituer un obstacle à l’instauration d’un régime communiste dans ces pays, tandis que dans leurs territoires frontaliers avec l’Ukraine, d’importants transferts forcés de population sont entrepris par les Soviétiques. En Allemagne et en Hongrie, les Soviétiques pratiquent des rafles de jeunes femmes et hommes qui sont envoyés dans des camps de travail en URSS pour contribuer à la reconstruction du pays.

Texte : Alain Blum et Marta Craveri

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Nadejda Tutik raconte la déportation de son père (VO)

Nadejda Tutik raconte la déportation de son père depuis l'Ukraine, trois jours après son mariage. Sa mère va à la station de chemin de fer, et demande au chef de convoi dans lequel est enfermé son mari, de partir avec lui. Le chef de convoi rit et lui dit, "Tu es une beauté. Tu trouveras à te remarier. Tu n'est pas inscrite sur la liste, nous ne te prenons pas"...

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Repères chronologiques
1943 -1952

  
 

1943
Février :La victoire de Stalingrad, marque l’un des tournants de la Seconde guerre mondiale.
Novembre : déportation en Asie centrale d’environ 69 000 Karatchaïs du Caucase. Il s’agit de la première opération collective contre un « peuple puni », accusé de collaboration massive avec l’occupant, et expulsé de ses terres dans son intégralité. Les autonomies nationales dont disposaient ces peuples sont supprimées (région autonome des Karatchaïs, République de Kabardie-Balkarie, République de Tchétchénie-Ingouchie, République de Kalmoukie).
Décembre : déportation en Asie centrale d’environ 92 000 Kalmoukes du Caucase.
  
1944
Février : déportation d’environs 387 000 Tchétchènes, 91 000 Ingouches et 37 000 Balkares du Caucase du Nord.
Novembre : déportation d’environ 92 000 Meskhètes, Kurdes et Khemchiles de Géorgie.
Mai : déportation d’environ 187 000 Tatares, 22 000 Bulgares et Arméniens de Crimée, 40 000 Grecs de Crimée, Géorgie, Arménie et des régions de Krasnodar et Rostov.
30 juillet : Staline ordonne le désarmement, l’arrestation et la déportation des officiers et soldats polonais de l’Armée de libération polonaise (AK) qui avaient participé à l’opération Burza (Tempête).
Décembre : déportation d’environ 110 000 germanophones (les Volksdeutsche) résidant en Hongrie, Roumanie, Bulgarie et Yougoslavie.

Hiver 1944-juin 1945
En Russie subcarpatique sont arrêtés les membres du parti agraire et du parti hongrois, les émigrés russes des années 1920, les nationalistes ukrainiens et biélorusses, les Tchèques et Slovaques qui s’opposaient au rattachement de la Russie subcarpatique à l’URSS.
  
Printemps 1944-1951
Arrestation et déportation de centaines de milliers de collaborateurs (réels ou présumés), de membres de l’Organisation nationaliste ukrainienne (OUN), de combattants de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA), de partisans biélorusses, de résistants baltes, réels ou présumés, luttant avec les armes contre l’occupation soviétique. Les familles des résistants ukrainiens et baltes que les Soviétiques désignent comme « bandits » sont déportés dans des villages spéciaux en Sibérie et dans le Grand Nord.
  
1945
Janvier : déportation d’environ 70 000 Saxons et Souabes (roumains germanophones) de Transylvanie méridionale (Roumanie) dans le Donbass, bassin minier en Union soviétique, et dans d’autres bassins industriels ukrainiens.
Printemps : déportation d’environ 100 000 personnes de Slovaquie ; une partie est amenée de force en URSS, surtout dans la région du Donbass, pour aider à la reconstruction ; d’autres sont condamnés comme « criminels de guerre » pour avoir combattu aux cotés des Allemands, des Hongrois ou des Slovaques (la Slovaquie avait profité de la domination de l’Allemagne nazie pour proclamer son indépendance).
Avril : dans les jours qui suivent la libération de la Tchécoslovaquie par l’Armée rouge et jusqu’en février 1948, le NKVD arrête et déporte en URSS les émigrés russes qui avaient fui le régime bolchevique dans les années 1920 et 1930, essentiellement des membres de l’élite culturelle et économique (ingénieurs, juristes, journalistes, écrivains, traducteurs, officiers, professeurs, diplomates, commerçants).
À partir d’avril 1945 : déportation d’environ 800 000 travailleurs forcés (dont 500 000 Allemands) des pays occupés par l’Armée rouge au titre des réparations de guerre.8-9 mai 1945 : capitulation de l’Allemagne. L’Armée rouge occupe une partie du territoire allemand ainsi que les pays d’Europe de l’Est.
Printemps-été : déportation des germanophones (les Volksdeutsche) résidant en Lituanie.
En Europe centrale et orientale, sont arrêtés et déportés en URSS de nombreuses personnes pouvant constituer un obstacle à la mise en place de régimes prosoviétiques.
  
1948
Mai : au moment de la collectivisation des terres en Lituanie, le NKVD lance l’opération Vesna (« printemps ») : 40 000 paysans, dont 11 000 enfants, sont déportés dans des villages des régions de Krasnoïarsk, d’Irkoutsk et de Bouriatie.
  
1949
Mars : opération de déportation de masse dans les pays baltes, essentiellement dans les campagnes.
En Lituanie, cette opération porte le nom de Priboï (« ressac ») : Près de 9 000 familles lituaniennes, soit environ 30 000 personnes, sont déportées en Sibérie.
Avril : Opération de déportation analogue, menée en Moldavie.
Mai : Opération de déportation des Grecs de Géorgie.
  
1951
De juin 1949 jusqu’en août 1952, des déportations plus ou moins importantes sont organisées dans les pays baltes. À l’automne, une opération de masse, intitulée Osen (« automne »), est menée exclusivement en Lituanie et elle a comme cible uniquement les paysans qui n’adhéraient pas aux exploitations collectives. Plus de 16 000 personnes, dont 5 000 enfants, sont déportées dans la région de Krasnoïarsk.

   Alain Blum et Marta Craveri

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Nadejda Tutik raconte la déportation de son père (VE)

Nadejda Tutik raconte la déportation de son père depuis l'Ukraine, trois jours après son mariage. Sa mère va à la station de chemin de fer, et demande au chef de convoi dans lequel est enfermé son mari, de partir avec lui. Le chef de convoi rit et lui dit, "Tu es une beauté. Tu trouveras à te remarier. Tu n'est pas inscrite sur la liste, nous ne te prenons pas"...

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Olga Vidlovskaia raconte son arrestation et sa déportation (VO - russe)

Olga Vidlovskaia est arrêtée un jour de 1944, avec ses deux petits enfants de un an et demi et 4 ans. Elle demande au soldat, venu l'arrêter:

"Pourquoi êtes vous venus sur notre terre et vous nous emportez. Et lui nous répond, vous êtes des salauds, des salauds de Bandera".

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Olga Vidlovskaia raconte son arrestation et sa déportation (VF)

Olga Vidlovskaia est arrêtée un jour de 1944, avec ses deux petits enfants de un an et demi et 4 ans. Elle demande au soldat, venu l'arrêter:

"Pourquoi êtes vous venus sur notre terre et vous nous emportez? Et lui nous répond, vous êtes des salauds, des salauds de Bandera".

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Juliana Zarchi raconte son arrestation et sa déportation. (VO - en russe)

Juliana Zarchi naît à Kaunas en 1938, de père lituanien d’origine juive et de mère allemande. Au moment de l’invasion de la Lituanie par les nazis, son père fuit vers l’est, où il est assassiné par les Einsatzgruppen. Toute petite fille, elle est sortie du ghetto de Kaunas et réussit à survivre pendant l’occupation nazie.
En août 1945, dans le cadre des répressions contre les ressortissants d’origine allemande, elle est déplacée de force par les Soviétiques, avec sa mère, au Tadjikistan, en Asie centrale, d’où elle ne rentre qu’en 1962.

 Juliana se souvient du moment où la police politique soviétique arriva chez eux à Kaunas et de sa déportation au Tadjikistan.

 

 

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Juliana Zarchi raconte son arrestation et sa déportation (VF)

Juliana Zarchi naît à Kaunas en 1938, de père lituanien d’origine juive et de mère allemande. Au moment de l’invasion de la Lituanie par les nazis, son père fuit vers l’est, où il est assassiné par les Einsatzgruppen. Toute petite fille, elle est sortie du ghetto de Kaunas et réussit à survivre pendant l’occupation nazie.
En août 1945, dans le cadre des répressions contre les ressortissants d’origine allemande, elle est déplacée de force par les Soviétiques, avec sa mère, au Tadjikistan, en Asie centrale, d’où elle ne rentre qu’en 1962.

 

 Juliana se souvient du moment où la police politique soviétique arriva chez eux à Kaunas et de sa déportation au Tadjikistan.

 

 

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Juliana Zarchi raconte son arrivée en déportation (VO - en russe)

Juliana Zarchi naît à Kaunas en 1938, de père lituanien d’origine juive et de mère allemande. Au moment de l’invasion de la Lituanie par les nazis, son père fuit vers l’est, où il est assassiné par les Einsatzgruppen. Toute petite fille, elle est sortie du ghetto de Kaunas et réussit à survivre pendant l’occupation nazie.
En août 1945, dans le cadre des répressions contre les ressortissants d’origine allemande, elle est déplacée de force par les Soviétiques, avec sa mère, au Tadjikistan, en Asie centrale, d’où elle ne rentre qu’en 1962.

Juliana se souvient de ses premières impressions à l'arrivée en Asie centrale et de comment les déportés étaient assignés aux travaux de cueillette du coton dans les kolkhozes.

 

 

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Juliana Zarchi raconte son arrivée en déportation (VF)

Juliana Zarchi naît à Kaunas en 1938, de père lituanien d’origine juive et de mère allemande. Au moment de l’invasion de la Lituanie par les nazis, son père fuit vers l’est, où il est assassiné par les Einsatzgruppen. Toute petite fille, elle est sortie du ghetto de Kaunas et réussit à survivre pendant l’occupation nazie.
En août 1945, dans le cadre des répressions contre les ressortissants d’origine allemande, elle est déplacée de force par les Soviétiques, avec sa mère, au Tadjikistan, en Asie centrale, d’où elle ne rentre qu’en 1962.

Dans cet extrait, Juliana se souvient de ses premières impressions à l'arrivée en Asie centrale et de comment les déportés étaient assignés aux travaux de cueillette du coton dans les kolkhozes.

 

 

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Olga Vidlovskaia chante une chanson ukrainienne en mémoire des personnes arrêtées

Olga Vidlovskaia récite une chanson traditionnelle ukrainienne, en mémoire des Ukrainiens victimes de la répression du NKVD.

Les paroles originales, récitée par Olga Vidlovskaia, sont les suivantes:

Нiчь була спокiйна, в селi було цiхо, [La nuit était calme, le village - silencieux]

Тихим ходом , селом , под’ïзжала машина. [A travers le village une voiture lentement s’approchait.]

Pозлитiлись кати попiд нашiй хати, [Nos maisons, les bourreaux envahirent,]

Ареcтують з друж’ю за безцïльну працю. [Pour les enchaîner à un travail vain, ils arrêtèrent les compères.]

Так сидiли друзi пiлтора року,  [Pendant 18 mois, les amis furent enfermés,]

Випустiли дружiв слухати вироку.[Pour entendre le verdict, ils ont été relâchés.]

Вирок прочитали, на смерть засудили, [Le verdict prononcé, à mort ils furent condamnés,]

Cxлупотiв скорострiл, дружi похiлились. [En recevant la salve, les amis ont vacillé.]

Прощай Украïно, прощай рiдна мати,  [Adieu mon Ukraine, adieu ma chère mère,]

За безцiльну працю, я дiстал заплату... [Pour un travail futile, j’ai touché un salaire …]

La transcription et la traduction vers le russe et le français, a été faite par Anastasia Gorelik. 

On trouve une autre variante de cette chanson sur le site de chansons ukrainiennes Украïнськi  пiснi 

Було всюди тихо

Ні чутки про лихо,

Тихим ходом в село

Заїзжало авто.

 

Розбіглися кати

По-під наші хати,

Забирають друзів

За підпільну працю.

 

Кують їх в кайдани,

Вяжуть назад руки

І виводять до тюрми 

На вічнії муки.

 

Їм три рази денно

Води приносили,

А сім раз на день

Нагаями били.

 

Так сиділи друзі

Більше як півроку,

Випустили друзів

Слухати вироку.

 

На смерть засудили,

Вирок прочитали,

Злопотіли скоростріли

Друзі повмирали.

 

Прощай Україно 

І ти батьку й  мати,

За підпільну працю

Дістаєм ми плату

 

Не одна жертва 

За Вкраїну впала,

Слава Україні!

І Героям слава!

Chanson populaire de l'insurrection: Було всюди тихо (Le silence régnait partout)

(Nous remercions Roger Depledge de nous avoir signalé cette version)

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Klara Hartmann raconte la fin de la guerre en Hongrie et son arrestation

«Je ne me rappelle pas précisément car j’étais très petite : mes parents sont morts. Et c’est mon oncle et sa famille qui m’ont élevée. Lui était officier de gendarmerie à Gönc. C’est là où j’ai vécu jusqu’à mes 14 ans, pour ainsi dire. J’allais à l’école. La famille s’est habituée… ou plutôt, je me suis habituée à la famille et je les ai pris en affection.
La guerre est arrivée. Et ils ont fui… à l’étranger. Ils ont fui la guerre. Et moi, ils m’ont laissée dans ce grand appartement. Pour qu’il ne reste pas vide, ils y ont placé une bonne pour qu’elle soit là aussi, pour que nous restions dans l’appartement. 
Mais, les combats ont duré très longtemps : les Russes se retiraient, les Allemands rentraient. C’était changeant… Ma rue était habitée par des gendarmes, pour ainsi dire, et c’était là aussi où se trouvait leur caserne. Il y en avait déjà beaucoup qui étaient à la retraite… Selon la rumeur, si les combats duraient aussi longtemps, c’était parce que les gendarmes défendaient le village. Pourtant, il n’y avait sûrement personne là-bas : tout le monde essayait de partir. Mais c’est ce qu’ils disaient. Et c’est à cause de ça qu’ils m’ont emmenée. 
A la fin, ce sont les Roumains qui sont rentrés dans le village, pas les Allemands, ni les Russes. Les Roumains ont fait un grand cirque et ils emmenaient tout ceux qu’ils pouvaient. 
Et puis les Roumains, quand nous étions logés à Rakamaz, je crois… et c’est de là que partait le train. Mais vers où on m’emmenait et comment, je ne le savais pas. J’étais si gamine, j’avais tellement peur, j’avais tant de problèmes que je ne pouvais pas prêter attention à autre chose qu’à ma peur…

Comment s’est passée l’arrestation ?
Il n’y a pas eu d’arrestation ! Des soldats sont rentrés dans la maison avec quelqu’un de la municipalité. Ils m’ont prise et m’ont emmenée.

Et ils ont aussi emmenés la bonne ?
Oui.

Elle aussi…
Oui, mais je ne l’ai pas revue par la suite. Je n’ai revu personne que je connaissais auparavant.»

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1944 en Estonie - le récit d'Eela Lõhmus

En 1944, Eela et sa famille sont prises dans les combats entre les forces allemandes et l'Armée rouge. Durant leur retraite, les Allemands enjoignent à la population locale d'évacuer, alors que les soldats russes approchaient. Eela et ses proches fuient, traversant rivière et forêts sous les bombardements soviétiques, entre les chars allemands.

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Orest-Iouri Iarinitch raconte son arrestation (VO)

Orest-Iouri Iarinitch est arrêté en décembre 1949, à peine âgé de 15 ans. Après un long périple dans les prisons de l’URSS, dont la Boutyrka, à Moscou il est condamné à cinq ans de travaux forcés pour trahison de la patrie et organisation antisoviétique.

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Orest-Iouri Iarinitch raconte son arrestation (VE)

Orest-Iouri Iarinitch est arrêté en décembre 1949, à peine âgé de 15 ans. Après un long périple dans les prisons de l’URSS, dont la Boutyrka, à Moscou il est condamné à cinq ans de travaux forcés pour trahison de la patrie et organisation antisoviétique.

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Un destin tragique

Iossif Lipman écrit en 1954 une longue requête pour demander à être libéré de déportation, où il fut envoyé en mars 1949, embarqué comme tant d’autre Lituaniens dans l’opération Ressac. Artisan boucher avant la guerre, il a probablement été considéré comme ayant échappé à la déportation de juin 1941, qui avait frappé maints petits commerçants et artisans. Sa lettre de plainte est cependant celle d’un homme qui, avec sa famille, a vécu l’horreur de l’occupation allemande, suivie, moins de 5 ans après leur libération, d'une déportation en Sibérie. Iossif Lipman, Juif de Kaunas, est en effet un des rares survivants du ghetto, et il raconte dans sa lettre ce destin tragique, qui le voit passer du ghetto à l'exil sibérien. Destin tragique d’une famille en général, puisque ces fils, ce qu’il ne dit pas dans cette lettre, furent arrêtés peu après la guerre, l’un pour avoir essayé de partir vers la Pologne, comme e nombreux Juifs soviétiques tentèrent de le faire, l’autre pour avoir été témoin de cette tentative, et n’en n’avoir rien dit, et surtout pour avoir conservé des documents du ghetto, qui conduisit le NKVD à l’accuser de sionisme.

La photo qui illustre ce média présente un ensemble de survivant, dont I. Lipman et son épouse, juste après la libération du ghetto, debout devant le bunker dans lequel il s'était caché (dans les sous-sols d'un immeuble du ghetto) 5© United States Holocaust Memorial Museum, Photographie #81134)

(voir Alain Blum et Emilia Koustova, « L’effacement d’une expérience », in Emilia Koustova (dir.), Combattre, survivre, témoigner. Expériences soviétiques de la Seconde Guerre mondiale, Presses universitaires de Strasbourg, Strasbourg, 2020, pp. 273-308.)

Plainte de Iossif Lipman, envoyée de Krasnoïarsk, le 27 juillet 1954
Au Ministre de l’Intérieur de l’URSS, le cam<arade> Kruglov
Cc: au Chef de la direction du ministère de l’Intérieur de Vilnius
De la part du cit[oyen] Lipman Iossif Naumovitch, 24 rue Lebedev, appt 1, Krasnoïarsk.
Requête
Moi, Iossif N. Lipman, suis né en 1889 à Kaunas, où j’ai vécu sans interruption jusqu'en 1945.
Depuis l’enfance, je me suis spécialisé dans la viande et j’ai travaillé par conséquent comme ouvrier, entre 1920 et 1940, dans le combinat de viande de Kaunas.
Pendant l’occupation de la Lituanie par les envahisseurs allemands, nous avons dû, moi et ma famille, survivre à toute les horreurs des persécutions allemandes ; à de nombreuses reprises nous avons été sur le point de mourir et notre salut est tout simplement un miracle. Nous ne sommes restés en vie que grâce à mes deux fils, qui ont été durant ces années en relation avec le détachement de partisans « En avant » (dont le chef était le cam<arade> Ziman, surnommé « Jurgis »). Ils ont ainsi réussi à construire, à l’insu des Allemands, un abri sûr dans lequel nous nous sommes cachés durant presque toute l’occupation, et où nous sommes restés sous terre, sans jamais sortir, durant les 4 mois qui ont précédé la défaite finale des Allemands.
C’est seulement avec l’arrivée de l’Armée rouge en Lituanie que nous avons été sauvés, un détachement de sapeurs nous a déterrés, car, avant leur départ, les Allemands avaient fait sauter la maison sous laquelle nous nous trouvions. C’était en juillet 1944.
En quittant cet abri, j’ai appris que tous mes parents avaient été tués, mes sœurs, mes frères, mes autres parents et mes proches. Je n’ai alors ni pu ni voulu vivre à Kaunas, où tout me rappelait ce que nous avions vécu. J’ai donc déménagé avec ma famille à Vilnius.
Là, j’ai immédiatement intégré la coopérative « Octobre » comme coupeur de viande, et j’y ai travaillé jusqu'en 1948. En 1948, j’ai rejoint la coopérative du district, toujours comme coupeur de viande. J’y ai travaillé jusqu’à ces jours funestes de mars 1949.
En mars 1949, on m’a proposé de façon tout à fait inattendue et injuste de partir en déplacement  dans la région de Krasnoïarsk.
Durant toute ma longue et laborieuse vie, je n’ai jamais possédé ni maison ni commerce et je suis ainsi très offensé par la tournure des événements au moment de ma vieillesse. Où que j’aie travaillé, je l’ai toujours fait honnêtement et consciencieusement car je ne suis pas habitué à avoir une autre relation au travail.
Mon fils aîné, Lipman Ruben <Ruvim> Iossifovitch, né en 1907, a été envoyé en déplacement avec moi car, n’étant pas marié à l’époque, il habitait avec moi. Cinq mois plus tard, alors que nous étions déjà dans la région de Krasnoïarsk, nous avons appris le décès subit de ma femme, qui n’avait pas pu survivre à ce nouveau choc.
Entre 1949 et 1951, mon fils et moi avons vécu et travaillé dans le village de Solgon du district d’Oujour. Grâce à notre travail honnête, nous avons été envoyés en 1951 pour travailler en accord avec notre spécialité au combinat de viande d’Oujour, où j’ai reçu de nombreuses récompenses et gratifications pour mon travail.
En février-mars de cette année, mon fils qui vivait avec moi est tombé gravement malade. Compte tenu de la gravité de sa maladie, une tumeur au cerveau, il a été envoyé pour traitement à Krasnoïarsk, où il est resté à l’hôpital pendant plus d’un mois, puis en raison de l’absence de neurochirurgiens dans cette ville, il a été envoyé à Novossibirsk pour être opéré.
Il y est mort, au cours de l’opération. C’était le 12 juin 1954.
Après ce deuxième malheur survenu dans ma famille, mes autres enfants (mon fils cadet et mes deux filles) sont venus me rejoindre temporairement à Krasnoïarsk, pour ne pas me laisser seul, car je ne travaille plus et suis dépendant de mes enfants.
Mon fils cadet Lipman Efim <Chaïm> Iossifovitch, né en 1913, a travaillé comme contremaître principal en drainage à la construction du canal Volga-Don jusqu’à la fin du chantier  ; il a reçu de nombreuses récompenses et gratifications pour l’excellente conduite des travaux, dont certaines personnellement du chef du chantier, le général Chiktorov , du ministre de l’Intérieur, le cam<arade> Krouglov, et de son adjoint, le cam<arade> Serov ; vous pouvez en obtenir facilement confirmation.
Mes enfants ne sont venus en Sibérie que pour moi et doivent rentrer chez eux ; je vous demande donc par la présente de réexaminer ma situation, de lever les contraintes auxquelles je suis soumis car je ne ressens aucune culpabilité ; toute notre famille a toujours eu, au contraire, de la sympathie pour le régime soviétique.
Je vous demande de me permettre de revenir librement dans ma patrie, pour que je puisse vivre en homme libre les quelques années qui me restent, et que je ne porte plus le fardeau d’un homme aux droits limités, fardeau qui m’est insupportable. Je vous demande de m’autoriser à vivre là où vivent mes enfants, et que je puisse enfin me rendre à la tombe de ma défunte épouse.
Le 27 juillet 1954,    [Signature] Lipman

Lettre dactylographiée avec signature manuscrite de l’auteur, LCVA, fonds R-754, inv. 13, d. 512, pp. 164-165.