Solidarité Ukraine
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Les lieux de la déportation


Les déportés quittent, en quelques heures, une maison paysanne, un logement urbain, et sont entassés dans des wagons à bestiaux. Ils y restent durant un long et pénible voyage en attente de lieux dont ils ignorent l’emplacement et la nature.
Souvent, à leur arrivée, rien n’est prévu pour une installation pérenne. Ils s’entassent dans des baraques, constructions emblématiques du monde carcéral soviétique, mais aussi du monde ouvrier. Ils occupent, parfois, les maisons abandonnées par leurs habitants, eux-mêmes victimes de répression ou partis dans une autre localité. 
Certains déportés sont abandonnés sans autre logement qu’une vieille étable et doivent construire en toute hâte des zemlânki, dont ils apprennent l’existence auprès des populations locales. Ils réussisent ainsi à passer l’hiver avant de pouvoir s’engager dans la construction d’une habitation moins précaire ou de rechercher la location d’une chambre ou d’une partie de chambre auprès des habitants.
Au bout de quelques mois, les nouveaux villages de baraquements, construits avec des outils archaïques et des matériaux de construction précaires – le ciment est remplacé par de la mousse –, surgissent dans le paysage sibérien. Avec les années, ces villages de déplacés se développent : les maisons remplacent les baraques, des écoles, un club de culture, une cantine, etc. apparaissent.
Lorsqu’ils repartent, à la fin des années 1950, certains villages tombent en ruine et les cimetières des déportés sont les seuls lieux de mémoire de ces répressions.
 
Texte : Alain Blum et Jurgita Mačiulytė
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Antanas Panavas: Vivre ensemble entre «nationalités»

Antanas Panavas: « Nous nous sommes habitués, mais au début la Sibérie nous semblait si lugubre, si grise, si inhospitalière. Puis, au printemps, ces mêmes champs sont devenus si verts, si beaux, et nous avons fait aussi connaissance avec les gens. On s’habitue… la population locale…nos voisins russes… et il y avait plusieurs nationalités. Voyez-vous, les Russes étaient en minorité dans ce village. Le village avait été grand. Quand un fils partait à l’armée, il ne revenait pas, il s’installait en ville, et il aidait comme il pouvait sa mère, ses frères, etc. à s’en aller. Et tous ceux qui ont pu sont partis en ville. Les Allemands de la Volga étaient en majorité dans le village. Ils étaient très aimables avec nous et nous avons fait connaissance avec eux. Ils étaient aussi catholiques. Ensuite… en ville … jusqu’en 1953.... Il y avait aussi des Kalmouks qui étaient aimables avec nous. Ils étaient très aimables. C’étaient des gens honnêtes, pas méchants. Il y avait aussi d’autres peuples comme les Tchouvaches, les Ukrainiens … mais la majorité c’était des Lituaniens et des Allemands. Les Lituaniens vivaient entre eux de manière aimable.»

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Trajectoire spatiale de la famille Ruzgys

Au mois de mai 1948, la famille paysanne lituanienne Ruzgys est arrêtée près de Šiauliai et est déportée. Après deux semaines de voyage le convoi des déplacés arrive en Bouriatie en Sibérie orientale au sud-est du lac Baïkal. Par petits groupes, les déplacés sont installés dans des petits wagons sans toit du chemin de fer et répartis dans les différents villages. Le peuplement du territoire par les déplacés s’est fait par des chemins de fer à voie étroite qui allaient dans les vallées des montagnes Iablonovy. La famille Ruzgys avec quinze autres familles est placée dans le petit hameau de Khoutor.

Avant que l’hiver sibérien hâtif n’arrive, les déplacés se hâtent de construire un  nouveau village de baraquements, Moïgua, dans la taïga, en prolongeant le chemin de fer à voie étroite.

Cependant, le village n’existera que quelques années. Tout le bois de cette vallée fut coupé et il fallut construire un nouveau village dans une autre vallée où il y avait beaucoup de bois et donc du travail pour plusieurs années. La vie dans le village de Khara-Koutoul, peuplé en grande partie par des Lituaniens, était plus confortable : les logement plus spacieux, les équipements et services de première nécessité présents.

Rimgaudas avait un grand avantage par rapport aux autres déplacés. Il était un homme libre parce que ses parents avaient réussi à modifier sa date de naissance en le rajeunissant d’un an. Mais cet avantage d’homme libre va se retourner contre lui. Alors que les déplacés n’étaient pas appelés à l’armée, Rimgaudas doit quitter le village pour faire son service militaire dans l’armée soviétique. Il est envoyé à Khabarovsk près de la frontière avec la Chine. La famille déménage dans le village de Novoïlinsk, dernière destination de la famille en Sibérie.

En 1960, après trois ans et demi de service militaire, Rimgaudas Ruzgys rentre en Lituanie et s’installe à Vilnius. Au début des années 1960 ses parents, son frère et sa sœur rentrent à leur tour en Lituanie et s’installent aussi à Vilnius, leur maison familiale ayant été occupée par d’autres personnes.

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Beauté de la Sibérie

Naoum Kleiman, autorisé à aller dans un internat situé à 8 km du village où sa famille est exilée, découvre l'incroyable beauté d'un soleil levant à travers les hautes herbes. 

 

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Rimgaudas Ruzgys: Premiers jours à Khoutor

Rimgaudas Ruzgys décrit ses premiers jours de vie dans le village de Khoutor.

«Ensuite, on est parti avec des chevaux du chemin de fer à voie étroite jusqu’au village… Le village était environ à un demi-kilomètre, un kilomètre. Chacun a pris ses affaires. On nous a amenés dans une maison bâtie comme en Sibérie, en rondins, typique comme nous l’avons vu. Elle était divisée en quatre pièces : un couloir et quatre petites pièces. On nous a mis à cinq familles dans cette maison. La première nuit, on ne pouvait pas se coucher ni s’allonger, il n’y avait que les murs et rien d’autre. La maison avait uniquement des cloisons en planches pour séparer un peu. Nous nous sommes couchés tant bien que mal sur nos sacs et nous nous sommes fait attaquer par les punaises. Quand les punaises ont attaqué, on s’est levé et il y en avait partout : partout sur les bras, les insectes attaquaient partout et on ne savait pas où se mettre. Tout le monde avait faim après ce voyage, personne n’avait mangé chaud. Le lendemain, tous ont placé des pierres dehors, et ceux qui avaient des casseroles ou des seaux ont commencé à préparer quelque chose à manger, quelque chose de chaud. Ceux qui avaient quelque chose… il n’y avait aucun magasin. La première nuit, quand nous sommes entrés dans la maison, nous avons barricadé la porte d’entrée. On se disait qu’on ne sait jamais, qu’on avait amené des étrangers ; les gens locaux avaient des couteaux car ils leur avaient dit que c’était des bandits. Nous nous sommes enfermés, barricadés de l’intérieur pour que la population locale n’entre pas dans la maison où nous passions la nuit. Voilà, c’est comme ça que nous nous sommes installés.»

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Rimgaudas Ruzgys: La construction d’un village

Rimgaudas Ruzgys raconte la construction du village de Moïgua.

«Ce lieu s’appelait Moïga. Là-bas, comme d’habitude, ils avaient construit uniquement quelques baraques, mais il fallait héberger tout le monde. Donc, ils ont parqué trois ou quatre familles par pièce, autant qu’ils ont pu. Il y avait au centre de la pièce un tonneau avec des trous et une cheminée en sortait pour chauffer un peu à l’intérieur. L’entrée était sans vestibule, directement sur l’extérieur. Quand on a commencé à chauffer en hiver, il faisait environ -40°C dehors : un grand froid. A l’intérieur, les rondins étaient en bois vert, l’eau se condensait et coulait sur les murs ; des gouttes tombaient sur la tête. On n’avait pas de planches car il n’y avait aucune scierie. Il a donc fallu fabriquer le plancher en fendant les rondins. On a fendu les rondins en planches qu’on a utilisées pour fabriquer une sorte de plancher. Et la même chose pour le plafond : il fallait couvrir un peu et on a utilisé ce type de planches. On employait de grands pins, des rondins de 2-3 mètres de long, et sans branches car c’était plus simple à fendre. On a mis une couche de terre sur le plancher pour que ce soit plus chaud. Quand ils construisaient les baraques, ils ne faisaient pas de fondations. On construisait sur des souches ou des poteaux. A la place des fondations, on empilait sur un mètre de haut environ de la terre sur les côtés jusqu’aux fenêtres pour que le froid ne passe pas par le dessous. Voilà comment s’est passé notre premier hiver.»