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Les libérations des déplacés spéciaux de Lituanie


Les libérations des déplacés spéciaux des territoires occidentaux se mettent en place lentement, après la mort de Staline. Cette lenteur exprime les multiples hésitations et réticences des autorités : méfiance très forte vis-à-vis de populations qui pourraient relancer des actions insurrectionnelles; craintes des tensions lors des retours; réticences des régions dans lesquelles ont été déplacées ces populations, craignant de perdre une main d'œuvre précieuse et peu coûteuse.

En Lituanie, les libérations se font par deux canaux:

  • Des décrets libèrent collectivement des groupes de déplacés entre 1954 et 1965, en miroir des décrets qui ont décidé ces déportations. Sont ainsi d'abord assouplies les conditions restrictives auxquelles étaient soumises ces populations, puis progressivement les divers "contingents" de déplacés sont libérés : "Familles de complices de bandits", "familles de bandits", etc.  Cependant, très souvent, les personnes libérées n'obtiennent pas le droit de retourner en Lituanie, droit qu'elles doivent alors réclamer individuellement auprès des autorités républicaines.
  • Des commissions organisées autour des plus hautes instances administratives de la république traitent par ailleurs des plaintes et autres requêtes envoyées par les déplacés spéciaux qui demandent libération, droit au retour ou restitution de leurs biens. De nombreuses familles paysannes sont libérées par ce canal, avant que les décrets collectifs n'en élargissent le cercle. Des milliers de lettres sont ainsi envoyées, dès avant 1953 jusqu'à la fin des années 1980, entraînant des enquêtes de police, de nouveaux témoignages d'habitants du même village, etc.

Alain Blum et Emilia Koustova

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Requête d'un policier décrivant la procédure suivie pour libérer des déporter

Le 16 mars 1959 un employé du ministère de l'Intérieur écrit au 1er secrétaire du Parti communiste de Lituanie, pour contester son arrestation et son maintien en détention. Il est accusé de prévarication, car on le soupçonne selon lui d'avoir fait libérer une famille de déportés contre des boissons alcoolisées, ce qu'il nie le plus fermement. Pour convaincre de son bon droit, il décrit de façon très précise la manière dont il travaille, ce qui fait de ce document une description rare du travail quotidien mis en oeuvre après la mort de Staline, pour répondre aux milliers de requêtes reçues de déportés réclamant leur libération.

Au Secrétaire du CC du PC de Lituanie
Le Camarade Sniečkus
Vilnius
De K. Nikolaj Fedorovič
Arrêté par l’inspection spéciale du MVD de la RSS de Lituanie
Se trouvant dans la prison № 1
Membre du PCUS depuis 1932
Requête
J’ai travaillé jusqu’à décembre 1958 incluse comme officier du 1er département spécial du MVD [ministère de l’Intérieur] de la RSS [République socialiste soviétique] de Lituanie, chargé de l’examen des plaintes et dossiers des familles déportées de Lituanie.
En décembre 1958, après 24 ans de services dans les organes j’ai été licencié et le 3 mars 1959 arrêté, inculpé selon les articles 109 et 117 du code pénal de la RSFSR [République socialiste fédérative soviétique de Russie] pour mauvais usage de ma situation de service et pots de vin. L’enquête préliminaire est menée depuis novembre 1958 par l’inspection spéciale du MVD de la RSS de Lituanie, qui, recherchant des accusations artificielles et à me renvoyer illégalement devant le tribunal, n’a toujours pas terminé son enquête, toujours à la recherche de nouvelles accusations criminelles infondées.


Le fond de l’affaire :
En août 1957, j’ai exercé quelques-unes des fonctions de l’ancien vice-directeur du 1er département spécial du MVD, N., sur son ordre oral, d’examen des requêtes des déplacés spéciaux et de préparation des dossiers des familles déplacées pour leur réexamen par la commission du Présidium du Soviet suprême de la RSS de Lituanie, dirigée par le camarade Preikšas.
Selon les instructions de cette commission, l’appareil de cette commission, auquel j’appartenais, suivait alors les règles suivantes :

  1. Ne présenter en commission que les dossiers des déplacés spéciaux, auxquels le personnel de l’appareil a donné un avis négatif à la libération.
  2. Considérer comme indiscutables, les dossiers des déplacés spéciaux, auxquels les employés de l’appareil ont donné un avis positif à la libération ; ne pas les présenter en commission, mais les inclure directement dans la liste préparée au préalable et jointe au projet de décision de la commission. Ces dossiers indiscutables, qui ne devaient pas faire l’objet d’un rapport devant la commission, consistaient en ceux qui disposaient des éléments suivants :

            a.    La famille n’employait pas de travail salarié, disposait de moins de 30 ha de terre ; il n’y avait pas de personnes condamnées dans la famille ou les parents condamnés vivaient, avant leur crime, hors de la famille.
           b.    La famille n’employait pas de travail salarié, disposait de moins de 20 ha de terre (et les mêmes données objectives que ci-dessus) : considérer cette famille comme déportée sans fondement et l’inclure dans la liste et dans le projet de décision de la Commission, comme libérée de déportation avec restitution des biens confisqués lors de la déportation.


Pour préciser la situation sociale et foncière de la famille et les relations quotidiennes entre parents condamnés et non condamnés, nous prenions comme base les attestations officielles du comité exécutif du district où vivait telle ou telle famille avant sa déportation. Suivant ces instructions de la commission, son appareil examinait les dossiers des déplacés spéciaux, tant suite aux premières plaintes ou requêtes, qu’aux suivantes si ces dernières comprenaient de nouveaux éléments présentés par les requérants, justifiant les motifs de telle ou telle famille.
Telles étaient les instructions de la Commission qui m’ont étaient transmises par N., ancien vice-drecteur du 1er département spécial du MVD, parti en congé exceptionnel.
En juin 1957, un employé de l’appareil de la Commission (K.) a examiné, conformément aux instructions de la Commission évoquées ci-dessus, le dossier concernant le retour de déportation de la famille de F. A., qui disposait, selon le comité exécutif du district et le conseil régional, de 16 ha de terres arables, n’employait pas de main d’œuvre salariée et dont l’exploitation n’avait pas été incluse dans la catégorie koulake. Cela amenait à considérer que la famille de F. A. avait été déporté à tort comme koulake. Cependant, en prenant en considération le fait que l’un des fils avait été jugé pour collaboration avec l’occupant allemand, après la déportation de sa famille, l’employé K. examinant le dossier, aboutit à la conclusion suivante : libérer cette famille de déportation à titre exceptionnel sans restitution des biens confisqués. Le dossier F. A. fut donc inclus dans le projet de décision de la Commission, sans être examiné par cette Commission, comme dossier incontestable, projet qui fut ensuite signé et approuvé.
En août 1957, le MVD reçut une seconde requête de l’un des fils du déporté F. A., avec en annexe des attestations du comité exécutif du district de Panevežis et du conseil régional, indiquant que le fils condamné de F. A. avait été mobilisé en 1942 dans un bataillon de travail allemand par l’occupant allemand, et qu’il ne vivait plus en relation de dépendance matérielle avec sa famille depuis lors. D’autres matériaux du dossier montraient que ce fils condamné n’avait plus entretenu de relations avec sa famille à partir de sa mobilisation dans un bataillon de travail allemand, qu’il vivait à Vilnius (et sa famille dans le district de Panevežis) et que sa collaboration avec l’occupant allemand, n’était pas la cause de la déportation de sa famille et n’avait pas été évoquée dans l’arrêté de déportation de1948.
J’ai ordonné, par délégation des fonctions de N., vice-directeur du 1er département spécial alors en congé, à l’employé du service de la Commission, ayant travaillé à la procurature, S., d’examiner cette seconde requête. Il étudia à nouveau tous les documents de ce dossier et après m’avoir consulté, conclut que la famille de F. A. n’était pas koulake, que le fils condamné vivait depuis 1942 hors de sa famille et qu’en conséquence la famille avait été déportée à tort. Il fallait donc la libérer de déportation, comme déportée à tort avec restitution de ses biens confisqués. Seul le fils condamné, qui après avoir purgé sa peine avait rejoint sa famille en déportation, devait être libéré sans restitution de ses biens.
Je fus entièrement d’accord avec les conclusions de S. et lui recommandai de conclure de façon motivée le dossier A. comme devant être libérée de déportation, comme déportée à tort avec restitution de ses biens confisqués lors de la déportation, et de libérer le fils condamné sans restitution de ses biens confisqués, ce qui fit S.
Le dossier de libération de déportation avec restitution des biens confisqués de la famille A., fut une seconde fois inclus dans le projet de résolution de la commission, avec de telles conclusions, comme dossier incontestable, sans examen par la commission. Il fut approuvé et signé.
 La famille de F. A. rentra de déportation et on lui rendit ses biens confisqués au moment de cette déportation.
En octobre 1958, soit un peu plus d‘un an après la déportation de la famille de F. A., le 1er département spécial du MVD, soupçonnant que cette famille eut été libérée de déportation à tort, mena un contrôle spécial complémentaire sur sa situation sociale en interrogeant des témoins du lieu de résidence de cette famille dans le district de Panevežis. On s’aperçut alors que la famille A. avait une nourrice avant sa déportation, qui, après avoir éduqué les jeunes enfants de la famille, continua à travailler dans cette famille comme ouvrière agricole (batrak) dans les champs, ce qui témoignait de la position sociale koulake de la famille.
Ce contrôle montra aussi que toutes les attestations du comité exécutif du district de Panevežis, datées de 1957 et signées par le président du comité exécutif du district, ainsi que les attestations du conseil régional à partir desquelles tant en juin qu’en août 1957 avaient été étudié le dossier de la famille A., étaient inexactes. Ces attestations omettaient l’usage par cette famille d’un travail salarié, et donc de son statut social de koulake.
A partir des documents de ce contrôle spécial, le dossier de la famille A. a été présenté à la commission, qui a écrit dans sa décision : annuler la décision du mois d’août de restituer à la famille de F. A. les biens confisqués, comme décision inappropriée et mener une enquête.
Suite à cela, l’enquête se poursuit encore aujourd’hui, j’ai été arrêté le 3 mars de cette année et suis visé par l’instruction. On m’accuse de prévarication, car ayant délégation de fonction de N., comme vice-directeur du 1er département spécial du MVD, alors que ce dernier était en congé, j’ai inséré dans le projet de décision de la Commission le dossier de la libération d’A. de libération de déportation avec restitution des biens confisqués.
Or, l’employé S., n’avait-il pas abouti à de telles conclusions, comme moi-même, à partir de l’analyse du dossier et conformément aux instructions de la Commission, nous fondant sur les attestations officielles signées par le président même du comité exécutif du district de Panevežis et d’autres documents, qui donnaient pleine justification de considérer que la famille A., n’étant pas koulake et indépendante de son fils condamné, avait été déportée à tort en 1948 ? S. et moi-même pouvions-nous vraiment connaître ou deviner que ces attestations officielles étaient inexactes, alors que S. et moi-même faisions confiance à ces attestations officielles, comme aux attestations des comités exécutifs de centaines, de milliers de dossiers. Le dossier A., était pour cette raison indiscutable et ne provoquant aucun doute fut inclus dans le projet de décision de la Commission.
Je me demande alors pourquoi aurai-je à porter la responsabilité de ce dossier et non le comité exécutif du district de Panevežis dont les attestations furent au fondement principal de la libération de déportation de la famille de F. A. avec restitution des biens confisqués.
On m’accuse de n’avoir pas porté connaissance de la commission le dossier de la famille A., mais de l’avoir directement inclus sur la foi des conclusions de S. dans le projet de décision de la Commission. Mais, selon les instructions de la Commission, un tel dossier, pour lequel les employés de l’appareil avaient porté un avis favorable à la libération de déportation avec restitution ou sans restitution des biens, ne devait-il ne pas être porté connaissance de la commission, comme les milliers de dossiers analogues qui ont été inclus dans la décision de la Commission sans preuves concrètes, suivant là la documentation technique de la Commission alors en vigueur. En conséquence m’accuser de cela est irréfléchi et totalement infondé. Ni S. ayant proposé la conclusion sur le dossier A., ni moi-même n’avons eu même l’idée que ce dossier incontestable, ne suscitant aucun doute, puisse être présenter devant la Commission.
On m’accuse d’avoir inclus dans le projet de la Commission la libération de déportation de la famille A. comme déportée à tort après avoir été régalé de boissons alcoolisées par une de mes connaissances, proche de cette famille, le citoyen B., ce qui constituerait un objectif intéressé.
Cette accusation sans fondement et imaginée par je ne sais qui n’a absolument aucune espèce de réalité. Je connais le citoyen B. depuis 1950, comme ancien employé des organes de sécurité. J’ai bu en sa compagnie plus d’une fois, presque chaque année. Or, pas une seule de ces parties de boisson n’était en lien avec la libération de la famille A. de déportation et je n’ai bénéficié d’aucune rétribution de sa part en faveur de cette famille. Au contraire, B. a parfois consommé à mon compte, n’ayant pas d’argent. Il m’a ainsi emprunté, en décembre 1957, 25 roubles pour boire, somme qu’il ne m’a toujours pas rendue.
Toutes les autres accusations de prévarications portées contre moi ne sont qu’imaginaires et manquant de tout fondement. Elles ont été portées par quelque personne pour justifier le comité exécutif du district de Panevežis, qui avait donnée des attestations inexactes sur la famille du déplacé spécial A. et pour m’accuser artificiellement d’avoir libéré à tort cette famille de déportation comme déportée à tort.
L’inspection spéciale du MVD menant enquête sur mon affaire n’ayant toujours pas compris les instructions de la commission du Présidium du Soviet suprême de la RSS de Lituanie en vigueur en 1957, fondant la révision des dossiers de déportés et les raisons effectives, ayant conduit à la libération de la famille A. comme déportée à tort, rassemble tout un tas de données non vérifiées ou mensongères, pour m’accuser de façon artificielle et ainsi obtenir auprès du procureur de la république sanction de mon arrestation.
J’ai été arrêté et cela fait déjà deux semaines que je me trouve en prison, alors que je ne comprends pas et ne ressent aucun sentiment de faute parmi tout ce qu’on me reproche. J’ai presque 49 ans, dont 35 de ma vie consciente donnée à ma patrie, débutant comme ouvrier – plombier, ingénieur-mécanicien, constructeur dans une entreprise de l’industrie de la défense à Moscou, jusqu’à avoir des positions de responsabilités dans l’appareil central du NKVD d’URSS dans les troupes – chef d’un corps du contre-espionnage, affecté de façon exceptionnelle comme vice-directeur d’une des usines les plus importantes de construction navale ainsi qu’à d’autres fonctions. J’ai toujours répondu à mes obligations avec conscience, ce pourquoi j’ai été décoré de neuf distinctions et médailles, qui m’ont été illégalement retirées lors de mon arrestation.
Membre du PCUS [Parti communiste d’Union soviétique] depuis 1932, j’ai toujours été guidé par les intérêts du parti communiste et de notre gouvernement soviétique durant toutes mes activités de service, au service civil, sur le front de la Grande Guerre patriotique, que j’ai passé de Moscou jusqu’à la prise de Berlin et du Reichstag. J’ai toujours cru en mon devoir de service devant la Patrie et quels qu’aient été mes intérêts quotidiens et mon humeur, j’ai été étranger à l’accomplissement d’un crime.
Mon arrestation, fondée sur la libération illégale de déportation de la famille A., constitue un acte de violence grossière et de violation de la légalité socialiste, qui ne se conforme pas aux normes de la législation de procédure criminelle.
Après une commotion cérébrale reçue sur le front, je souffre d’une neurasthénie sévère, et mon incarcération a renforcé considérablement ma maladie ; je ne peux plus supporter cet acte de violence porté contre moi. Je n’ai plus la force de démontrer mon innocence à l’enquête, qui rassemble toutes sortes de données imaginaires et mensongères pour essayer de m’accuser de crimes que je n’ai pas commis.
Je vous demande d’intercéder en ma faveur et de prendre des mesures pour qu’une enquête objective soit menée et me libérer de cette incarcération provisoire, qui m’isole de la société prématurément et illégalement.
16 3 1959
K.
Ville de Vilnius
Prison n° 1
(lettre manuscrite de 12 feuillets)
Source: Archives spéciales de Lituanie, f. 1771, inv. 205, d. 23, ff. 99-103

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Les libérations collectives - décrets concernant la Lituanie

Les libérations collectives se font sur la base de décrets qui sont pris "en miroir" des décrets de déportations: ils touchent des catégories désignées dans ceux-ci, ou une partie d'entre-elles, en excluant parfois certaines déportations en fonction du territoire d'origine (les déportés d'Ukraine, de Lituanie, de Lettonie et d'Estonie sont ainsi exclus du premier décret assouplissant la condition de déportés). Ci-contre les principaux décrets concertant les déplacés spéciaux de Lituanie.

 

1954

 

5/7

Arrêté du conseil des Ministre de l’URSS sur la levée de quelques limitations dans la situation légale des déplacés spéciaux

13/7

Annulation du décret du présidium du soviet suprême du 26/11/1948 (sur la responsabilité pénale en cas de fuite)

16/7

Enfants des déplacés spéciaux (jusqu’à 16 ans, s’ils étudient)

 

Levée de quelques contraintes auxquelles sont soumises les déplacés spéciaux (Cela ne s’applique pas aux membres des familles des soldats de l’armée Anders, aux complices et bandits et aux koulaks, déportés de Lituanie, Ukraine, … entre 1945 et 1952)

13/8

Levée des limites auxquelles sont soumis les déplacés spéciaux pour les anciens koulaks et autres personnes

2/12

Libération du statut de déplacés spéciaux pour les participants de la Grande guerre patriotique, enseignants, invalides isolés, etc.

16/12

Allemands et membres de leurs familles, déportés durant la Grande guerre patriotique

1955

19/3

Membres des familles des personnes libérées par les décrets précédents

 

Déplacés-exilés, étant en déportation après avoir accompli leur peine pour un crime contre l’État particulièrement grave, si leur famille ne sont pas en déportation.

 

Personnes, partant par rapatriement vers la Pologne

9/5

Libération du statut de déplacés spéciaux pour les membres et candidats au parti et leurs familles, se trouvant en exil.

29/6

Pour renforcer le travail politique au sein des spets

17/9

Sur l’Amnistie des citoyens soviétiques, ayant collaboré avec l’occupant durant la Grande guerre patriotique –1941—1945

24/11

Décret du SM 1963-1052-c

1956

1957

21/1

Il est interdit aux anciens responsables du gouvernement bourgeois de Lituanie, etc… de rentrer en Lituanie.

1958

1/4

Personnes élues dans les conseils municipaux, etc.

22/5

Complice de la clandestinité nationale et membres de leurs familles

 

Anciens koulaks et membres de leur famille

 

Membre des familles des anciens propriétaires terriens, manufacturiers, etc.

Tous sans droit au retour dans les lieux d’où ils ont été déportés

7/8

Anciens soldats de l’armée Anders et membres de leurs familles

1960

7/1

Membres des familles des dirigeants et participants à la clandestinité nationaliste et aux bandes nationalistes, déportés de Lituanie, Lettonie, Estonie; anciens commerçants, propriétaires, manufacturiers, membres des gouvernements bourgeois (sans droit au retour dans les lieux, d’où ils ont été déportés).

1961

18/4

Anciens participants de la clandestinité nationaliste et des bandes armées nationalistes, condamnées pour des crimes réalisés avant qu’ils n’aient 18 ans, avec droit de résider sur les territoires, où ils vivaient auparavant

1963

6/12

Dirigeants et participants de la clandestinité nationaliste et des bandes armées

1964

24/4

Anciens participants des organisations nationalistes antisoviétiques (condamnés par arrêté de la commission extraordinaire auprès du NKVD/NKGB/MGB/MVD de l’URSS)

1965

30/09

« Témoins de Jéhovah »,  «chrétiens de la vraie foi orthodoxe», «innocentistes», «adventistes-réformistes » et membres de leurs familles

Sources : Divers décrets ainsi que récapitulatif Archives spéciales de Lituanie, f. V-135, inv. 7, d. 549, ff. 3-5

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La libération - un russe dicte la supplique

Domas Laurinskas est libéré, le premier de la famille, en 1958, après avoir envoyé une supplique, qu'il a écrite lui-même en russe, mais sous la dictée d'un russe qu'il connaissait bien. Ce dernier l'a fait, mais n'a pas voulu l'écrire lui-même, de peur d'être identifié.

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Un destin tragique

Iossif Lipman écrit en 1954 une longue requête pour demander à être libéré de déportation, où il fut envoyé en mars 1949, embarqué comme tant d’autre Lituaniens dans l’opération Ressac. Artisan boucher avant la guerre, il a probablement été considéré comme ayant échappé à la déportation de juin 1941, qui avait frappé maints petits commerçants et artisans. Sa lettre de plainte est cependant celle d’un homme qui, avec sa famille, a vécu l’horreur de l’occupation allemande, suivie, moins de 5 ans après leur libération, d'une déportation en Sibérie. Iossif Lipman, Juif de Kaunas, est en effet un des rares survivants du ghetto, et il raconte dans sa lettre ce destin tragique, qui le voit passer du ghetto à l'exil sibérien. Destin tragique d’une famille en général, puisque ces fils, ce qu’il ne dit pas dans cette lettre, furent arrêtés peu après la guerre, l’un pour avoir essayé de partir vers la Pologne, comme e nombreux Juifs soviétiques tentèrent de le faire, l’autre pour avoir été témoin de cette tentative, et n’en n’avoir rien dit, et surtout pour avoir conservé des documents du ghetto, qui conduisit le NKVD à l’accuser de sionisme.

La photo qui illustre ce média présente un ensemble de survivant, dont I. Lipman et son épouse, juste après la libération du ghetto, debout devant le bunker dans lequel il s'était caché (dans les sous-sols d'un immeuble du ghetto) 5© United States Holocaust Memorial Museum, Photographie #81134)

(voir Alain Blum et Emilia Koustova, « L’effacement d’une expérience », in Emilia Koustova (dir.), Combattre, survivre, témoigner. Expériences soviétiques de la Seconde Guerre mondiale, Presses universitaires de Strasbourg, Strasbourg, 2020, pp. 273-308.)

Plainte de Iossif Lipman, envoyée de Krasnoïarsk, le 27 juillet 1954
Au Ministre de l’Intérieur de l’URSS, le cam<arade> Kruglov
Cc: au Chef de la direction du ministère de l’Intérieur de Vilnius
De la part du cit[oyen] Lipman Iossif Naumovitch, 24 rue Lebedev, appt 1, Krasnoïarsk.
Requête
Moi, Iossif N. Lipman, suis né en 1889 à Kaunas, où j’ai vécu sans interruption jusqu'en 1945.
Depuis l’enfance, je me suis spécialisé dans la viande et j’ai travaillé par conséquent comme ouvrier, entre 1920 et 1940, dans le combinat de viande de Kaunas.
Pendant l’occupation de la Lituanie par les envahisseurs allemands, nous avons dû, moi et ma famille, survivre à toute les horreurs des persécutions allemandes ; à de nombreuses reprises nous avons été sur le point de mourir et notre salut est tout simplement un miracle. Nous ne sommes restés en vie que grâce à mes deux fils, qui ont été durant ces années en relation avec le détachement de partisans « En avant » (dont le chef était le cam<arade> Ziman, surnommé « Jurgis »). Ils ont ainsi réussi à construire, à l’insu des Allemands, un abri sûr dans lequel nous nous sommes cachés durant presque toute l’occupation, et où nous sommes restés sous terre, sans jamais sortir, durant les 4 mois qui ont précédé la défaite finale des Allemands.
C’est seulement avec l’arrivée de l’Armée rouge en Lituanie que nous avons été sauvés, un détachement de sapeurs nous a déterrés, car, avant leur départ, les Allemands avaient fait sauter la maison sous laquelle nous nous trouvions. C’était en juillet 1944.
En quittant cet abri, j’ai appris que tous mes parents avaient été tués, mes sœurs, mes frères, mes autres parents et mes proches. Je n’ai alors ni pu ni voulu vivre à Kaunas, où tout me rappelait ce que nous avions vécu. J’ai donc déménagé avec ma famille à Vilnius.
Là, j’ai immédiatement intégré la coopérative « Octobre » comme coupeur de viande, et j’y ai travaillé jusqu'en 1948. En 1948, j’ai rejoint la coopérative du district, toujours comme coupeur de viande. J’y ai travaillé jusqu’à ces jours funestes de mars 1949.
En mars 1949, on m’a proposé de façon tout à fait inattendue et injuste de partir en déplacement  dans la région de Krasnoïarsk.
Durant toute ma longue et laborieuse vie, je n’ai jamais possédé ni maison ni commerce et je suis ainsi très offensé par la tournure des événements au moment de ma vieillesse. Où que j’aie travaillé, je l’ai toujours fait honnêtement et consciencieusement car je ne suis pas habitué à avoir une autre relation au travail.
Mon fils aîné, Lipman Ruben <Ruvim> Iossifovitch, né en 1907, a été envoyé en déplacement avec moi car, n’étant pas marié à l’époque, il habitait avec moi. Cinq mois plus tard, alors que nous étions déjà dans la région de Krasnoïarsk, nous avons appris le décès subit de ma femme, qui n’avait pas pu survivre à ce nouveau choc.
Entre 1949 et 1951, mon fils et moi avons vécu et travaillé dans le village de Solgon du district d’Oujour. Grâce à notre travail honnête, nous avons été envoyés en 1951 pour travailler en accord avec notre spécialité au combinat de viande d’Oujour, où j’ai reçu de nombreuses récompenses et gratifications pour mon travail.
En février-mars de cette année, mon fils qui vivait avec moi est tombé gravement malade. Compte tenu de la gravité de sa maladie, une tumeur au cerveau, il a été envoyé pour traitement à Krasnoïarsk, où il est resté à l’hôpital pendant plus d’un mois, puis en raison de l’absence de neurochirurgiens dans cette ville, il a été envoyé à Novossibirsk pour être opéré.
Il y est mort, au cours de l’opération. C’était le 12 juin 1954.
Après ce deuxième malheur survenu dans ma famille, mes autres enfants (mon fils cadet et mes deux filles) sont venus me rejoindre temporairement à Krasnoïarsk, pour ne pas me laisser seul, car je ne travaille plus et suis dépendant de mes enfants.
Mon fils cadet Lipman Efim <Chaïm> Iossifovitch, né en 1913, a travaillé comme contremaître principal en drainage à la construction du canal Volga-Don jusqu’à la fin du chantier  ; il a reçu de nombreuses récompenses et gratifications pour l’excellente conduite des travaux, dont certaines personnellement du chef du chantier, le général Chiktorov , du ministre de l’Intérieur, le cam<arade> Krouglov, et de son adjoint, le cam<arade> Serov ; vous pouvez en obtenir facilement confirmation.
Mes enfants ne sont venus en Sibérie que pour moi et doivent rentrer chez eux ; je vous demande donc par la présente de réexaminer ma situation, de lever les contraintes auxquelles je suis soumis car je ne ressens aucune culpabilité ; toute notre famille a toujours eu, au contraire, de la sympathie pour le régime soviétique.
Je vous demande de me permettre de revenir librement dans ma patrie, pour que je puisse vivre en homme libre les quelques années qui me restent, et que je ne porte plus le fardeau d’un homme aux droits limités, fardeau qui m’est insupportable. Je vous demande de m’autoriser à vivre là où vivent mes enfants, et que je puisse enfin me rendre à la tombe de ma défunte épouse.
Le 27 juillet 1954,    [Signature] Lipman

Lettre dactylographiée avec signature manuscrite de l’auteur, LCVA, fonds R-754, inv. 13, d. 512, pp. 164-165.