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La faim


La faim, ne pas manger à sa faim, avoir constamment faim, être obsédé par la recherche de quelque chose à manger, être atteint du scorbut ou de cécité nocturne, par manque de vitamines, tels sont les états physiques et psychologiques présents dans presque tous les récits de nos témoins et tout particulièrement dans les récits de ceux qui étaient enfants lors de leur déportation. Nombreux parmi eux perdirent leurs parents, leurs frères et sœurs, suite aux difficultés à trouver des produits comestibles, y compris du lait pour les nourrissons. Certains, au moment de quitter leur maison, avaient pris avec eux des habits, des objets utiles qu'ils purent par la suite échanger sur place, contre de la nourriture. Tous apprirent à cueillir dans les bois des champignons, des racines et des fruits, quand la saison le permettait. Ceux qui furent déportés avant l’invasion allemande de l’URSS souffrirent encore davantage de la faim. Pendant la période de guerre, dans les camps de travail, environ un million de prisonniers en moururent et l’invalidité toucha 22 % d’entre eux. Dans les villages éloignés du Grand Nord et de Sibérie, où des milliers de familles avaient été reléguées, la disette était le quotidien autant des déportés que des autochtones.

Texte : Marta Craveri

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Souffrir de la faim

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Irina Tarnavska se souvient de la faim

A plusieurs moments, lors de son entretien, Irina Tarnavska évoque la faim dont elle souffrait, avec les siens, et les difficultés pour se procurer le moindre produit. Dans cet extrait, elle raconte comment, alors que les pommes de terres cuisaient dans une casserole, elle respirait leur odeur pour avoir l’illusion de les savourer !

 

«Nous attendions maman, quand maman revenait du travail pour manger ensemble [---] [pleurs]. Je suis allée m’asseoir au dessus de la marmite et j’ai essayé d’humer le parfum des pommes de terre [pleurs]. C’est ainsi que je me nourrissais ! Et quand maman est rentrée du travail, nous avons mangé les pommes de terre et voilà.»

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Dénutrition

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Peep Varju évoque la faim en Sibérie.

Peep Varju raconte la mort de toute sa famille et comment il est déplacé dans un orphelinat. Il se souvient de la faim dont ils souffraient en Sibérie et de sa mère qui échangeait tous leurs vêtements contre de la nourriture (voir aussi "La faim").

 

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Anatolij Smilingis raconte l'arrestation de sa mère

Dans les mois qui suivent la déportation, la famille d’Anatolij subsiste grâce aux provisions emportées de Lituanie. Mais à l’hiver 1942, la situation se dégrade et tous les moyens sont bons pour assurer la survie de la famille:

« Ma petite soeur Rita a été prise en charge à l’internat de l’école, où les enfants en bas âge étaient nourris et logés. Nous aussi, il fallait bien qu’on mange, alors maman s’est mise à aller à l’écurie de plus en plus souvent. De temps en temps, on donnait aux chevaux quelques graines d’avoine. Elle a commencé à en rapporter, je me demandais d’où, puis elle les réduisait en farine et les faisait cuire. Ca lui a coûté cher… Quelqu’un l’a vue et pour une poignée d’avoine, elle a été arrêtée. Je ne l’ai plus jamais revue. Ils l’ont emmenée et elle est morte quelque part dans un camp. Je me suis retrouvé tout seul ».

Anatolij entame alors sa vie d’orphelin et passe par la terrible expérience de la famine qu’il dit avoir réellement vécu pendant près de six mois. Il essaie dans cette séquence d’expliquer ce que pouvait ressentir un enfant au dernier stade de la faim: 

« On n’avait plus rien à manger. Je me souviens bien de certaines étapes. Je ne sais plus trop comment, j’avais sans doute troqué quelque chose contre une miche de pain noir, une miche tout entière! Je l’ai mangée et c’était comme si de rien n’était. Je l’avais mangée et pourtant j’en avais pas l’impression. Je l’avais découpée en tout petits morceaux sur la cuisinière et d’un coup, y’en a plus. Et là, tu peux pleurer toutes larmes de ton corps, c’est fini, y’a plus rien. Je m’en souviens encore. Et j’ai commencé à gonfler, ça commence par les jambes. C’était bien connu : quelqu’un qui commence à gonfler n’en a plus pour longtemps, après c’est le ventre qui gonfle. Et vous savez, on devient complètement indifférent de tout, on se transforme en zombi. Mais j’avais faim quand même, sauf que j’avais les jambes lourdes comme du plomb et je pouvais à peine les lever. Je m’en souviens encore. »

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Anatolij Smilingis raconte la faim

Dans les mois qui suivent la déportation, la famille d’Anatolij subsiste grâce aux provisions emportées de Lituanie. Mais à l’hiver 1942, la situation se dégrade et tous les moyens sont bons pour assurer la survie de la famille:

« Ma petite soeur Rita a été prise en charge à l’internat de l’école, où les enfants en bas âge étaient nourris et logés. Nous aussi, il fallait bien qu’on mange, alors maman s’est mise à aller à l’écurie de plus en plus souvent. De temps en temps, on donnait aux chevaux quelques graines d’avoine. Elle a commencé à en rapporter, je me demandais d’où, puis elle les réduisait en farine et les faisait cuire. Ca lui a coûté cher… Quelqu’un l’a vue et pour une poignée d’avoine, elle a été arrêtée. Je ne l’ai plus jamais revue. Ils l’ont emmenée et elle est morte quelque part dans un camp. Je me suis retrouvé tout seul ».

Anatolij entame alors sa vie d’orphelin et passe par la terrible expérience de la famine qu’il dit avoir réellement vécu pendant près de six mois. Il essaie dans cette séquence d’expliquer ce que pouvait ressentir un enfant au dernier stade de la faim: 

« On n’avait plus rien à manger. Je me souviens bien de certaines étapes. Je ne sais plus trop comment, j’avais sans doute troqué quelque chose contre une miche de pain noir, une miche tout entière! Je l’ai mangée et c’était comme si de rien n’était. Je l’avais mangée et pourtant j’en avais pas l’impression. Je l’avais découpée en tout petits morceaux sur la cuisinière et d’un coup, y’en a plus. Et là, tu peux pleurer toutes larmes de ton corps, c’est fini, y’a plus rien. Je m’en souviens encore. Et j’ai commencé à gonfler, ça commence par les jambes. C’était bien connu : quelqu’un qui commence à gonfler n’en a plus pour longtemps, après c’est le ventre qui gonfle. Et vous savez, on devient complètement indifférent de tout, on se transforme en zombi. Mais j’avais faim quand même, sauf que j’avais les jambes lourdes comme du plomb et je pouvais à peine les lever. Je m’en souviens encore. »